L'entreprise publique est le plus grand employeur du pays et les retombées politiques sont importantes. Bpost traverse une crise sans précédent, mais cela n'a pas produit de feu d'artifice lors de l'assemblée générale annuelle de l'entreprise postale. Contrairement à la foule attendue, une quinzaine de petits actionnaires seulement se sont présentés ce mercredi 11 mai à Schaerbeek, soit presque autant que le nombre de journalistes. En ligne, cinq actionnaires seulement ont suivi l'événement. Le vote sur la décharge aux administrateurs initialement prévu n'a pas non plus eu lieu. Comme l’a souhaité l’actionnaire majoritaire, l’Etat belge (51%), il a été proposé aux actionnaires de reporter ce vote en attendant la suite des enquêtes internes. Il n'est en effet pas question pour le gouvernement de décharger les administrateurs de leurs responsabilités dans la gestion 2022 tant que toute la lumière n’aura pas été faite sur les soupçons de plusieurs irrégularités qui secouent l’entreprise. Trois audits de marchés publics sont en cours. En attendant, l’action dégringole en bourse et les cadavres continuent de tomber du placard, après le licenciement de Dirk Tirez (l’ancien CEO) et de deux autres administrateurs en 2022, pour entente illégale et échanges illégaux d’informations. Les médias se concentrent donc aujourd’hui sur ce qui ne va pas chez bpost. Et pourtant, dans ce dossier fumeux, Christian Van Thillo, CEO de DPG Media et Gert Ysebaert, CEO de Mediahuis, restent hors radars dans la presse ? Or, pour signer un contrat relatif à la distribution de journaux et périodiques, il faut être à tout le moins deux cocontractants.
C'est un euphémisme de dire que ça va mal chez bpost. Pas un jour ne s'est écoulé ces dernières semaines sans une nouvelle révélation. Les abus au sein de l'entreprise publique se multiplient et chacun tente de tirer son épingle du jeu pour sauver sa peau. Le 9 mai dernier, Petra De Sutter (Groen) a dû s'expliquer hier devant la commission parlementaire compétente. La ministre des Entreprises publiques a vu la crise interne se propager à son propre cabinet : deux de ses collaborateurs détachés, aujourd’hui écartés, ont été payés par bpost pour gérer, au sein du cabinet, des dossiers liés à cette entreprise. La présidente du conseil d'administration, Audrey Hanard, a aussi tous les projecteurs rivés sur elle. Des informations divulguées via De Tijd et De Standaard souligne des relations « un peu trop étroites entre le PS et bpost » dans le cadre du fameux contrat dans l’œil du cyclone. À cela s'ajoute le rôle particulier que McKinsey a joué chez bpost ces dernières années. Le cabinet de conseil a reçu de nombreuses missions au sein de bpost. Selon De Tijd, les règles en matière d'appel d'offres n’ont pas toujours respectées.
Des ententes illégales
Retour sur les débuts d’un bad buzz. En décembre 2022, les conclusions d'une enquête interne menée au sein de Bpost établissent que Dirk Tirez, qui était CEO du groupe depuis juillet 2021, est rattrapé par une affaire d’entrave à la concurrence dans le cadre de l’appel d’offres lancé par l’Etat pour l’octroi de la concession relative à la distribution des journaux et magazines pour la période 2023-2027. Il devra quitter son poste. L'ancien CEO et deux de ses directeurs ont violé les règles de conduite internes dans le marché de la distribution des journaux. Il est aussi question de faux en écriture. « L’examen a révélé un non-respect des politiques de la société, ainsi que des indications de non-conformité aux lois applicables », avait précisé bpost.
DPG et Mediahuis impliqués
ll apparaît aussi que les trois hauts dirigeants, licenciés dans la foulée, ont participé à des réunions entre le distributeur concurrent de journaux PPP et les éditeurs de journaux DPG Media et Mediahuis, alors que les candidats n'avaient pas encore remis leur offre pour la concession.
Durant un certain temps, PPP et Bpost étaient concurrents pour l'obtention de ce marché. C'est dans ces conditions qu'est né un accord tripartite, une sorte de deal (illégal) via lequel les éditeurs de journaux acceptaient de transférer un certain volume de journaux à distribuer à PPP pour la région de Gand en échange du retrait de la candidature de PPP de la nouvelle concession, laissant de facto la voie libre à Bpost.
Des documents auraient également été falsifiés afin de passer sous silence ces accords conclus illégalement. Des faits pénaux pourraient être reprochés à certains dirigeants de Bpost. Les pièces et les conclusions de cet audit ont été communiquées à l'Autorité belge de la concurrence (ABC) qui mène également son enquête. Le parquet de Bruxelles suit aussi le dossier de près. Fin 2022, des perquisitions ont déjà eu lieu chez DGP Media.
Une subvention indirecte substantielle
Il est absolument certain que bpost facture des prix beaucoup plus bas aux éditeurs de journaux et de magazines en raison de cette subvention octroyée par l’Etat via la concession de marché public. En Flandre, DPG Media et Mediahuis en particulier évitent un poste de coûts très important au bilan de leur chiffre d’affaires : la distribution. Ce faisant, le contrat contesté représente une subvention indirecte très substantielle. Un win-win gagnant aux dépens du contribuable puisqu’il s’agit de fonds public alloués donc de l’argent du contribuable pris sur nos impôts.
Les journalistes qui travaillent pour les entreprises médiatiques flamandes ne s'impliquent cependant guère ou pas sur ce volet de l'histoire. Les noms de Christian Van Thillo et Gert Ysebaert, les dirigeants respectifs de DPG Media et Mediahuis, n'ont été que peu ou pas mentionnés dans la presse flamande. C'est un constat qui met de facto à nu un déficit démocratique important : qui surveille les chiens de garde censés être le quatrième pouvoir ? Si les grandes entreprises de médias sont au centre d'un accord frauduleux, les mêmes entreprises de médias semblent avoir le plus grand mal à en faire état.
Au-delà du fait que tout le monde, privé, public et politiques, est dans le bain jusqu’au cou dans le dossier Bpost et que personne ne semble vouloir tirer le bouchon, ce débat mériterait une place pour la crédibilité d’une profession déjà fortement ébranlée. Depuis quelques années, en effet, les baromètres des médias montrent que le taux de crédibilité des journalistes reste faible. Le premier reproche formulé ? Le manque d’indépendance.