La « Bonnie » du Parlement européen

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Elle a mené une campagne d’influence en faveur du Qatar. Son pouvoir de séduction semblait sans limites. Aujourd’hui, la député européenne et ancienne vice-présidente du Parlement européen clame son innocence. Après plusieurs mois de détention préventive, Eva Kaili se défend de tout acte de corruption. Elle joue par voie de presse sur « le traitement dégradant d’une jeune mère innocente, séparée de son joli bébé » (sic !). Ses avocats, Sven Mary, Christophe Marchand et Michalis Dimitrakopoulos, dézinguent au passage à la sulfateuse Maria Arena (PS), qui semble, quant à elle, intouchable dans ce dossier. La ligne de défense de Kaili ? Un an après le début du Qatargate, l’ex-présentatrice de télévision, devenue une célébrité politique grecque après avoir rejoint le parti socialiste Pasok, se profile comme la « Bonnie » de son « Clyde Barrow » italien, Francesco Giorgi.

Ancienne étoile montante du Parlement européen, Eva Kaili a été déchue de sa fonction de vice-présidente et exclue de son groupe au parlement des Socialistes et Démocrates (S&D). Arrêtée en décembre 2022, à Bruxelles, lors d’une vague de perquisitions, elle a été libérée de prison à la mi-avril, mais assignée à résidence sous bracelet électronique qu’elle a été autorisée à enlever au printemps dernier. Le 10 décembre, elle fait sa première déclaration publique dans un média francophone sur le plateau d’RTL Belgique. Il est intéressant d'examiner de plus près les arguments avancés par Eva Kaili afin de démontrer comment la « Bonnie » socialiste essaye de faire dérailler en sa faveur ce dossier d’argent contre influence étrangère à Bruxelles où quatre personnes sont actuellement suspectées. Il s'agit bien sûr pour elle d'échapper à une responsabilité pénale pour criminalité en col blanc, mais aussi de trouver les moyens de revenir dans les hautes sphères européennes la tête haute.

Ce n’est pas moi, c’est lui !

Au total, c'est plus d'un million et demi d'euros d'argent liquide qui a été découvert chez l'ex-eurodéputé italien, entretemps « repenti » et l'eurodéputée grecque, dont 878.355 euros chez cette dernière. De nombreux éléments relatifs à cette affaire de corruption ont depuis fuité dans la presse. La photo d'un tas de billet, diffusée par la police fédérale belge, a de quoi impressionner. Une grande partie de ces billets sont considérés comme neufs, encore sous bande plastique, et fraîchement émis, en Belgique pour une partie.

« L’argent qu’on avait à la maison, c’est le salaire de mon conjoint. J’ai aussi trouvé un sac qui n’était pas à nous et je l’ai donné à mon père pour qu’il le rende à Pier Antonio Panzeri ». Comme c’est prévenant ! Petit bémol qui choque le commun des mortels, et pour cause : personne aujourd’hui n’est payé en cash dans le cadre d’un contrat de travail, et d'autant pour des individus qui collaborent avec les instances européennes. Cela fait plutôt « tâche » ! On souligne au passage la désolidarisation amoureuse. Seul son compagnon, le sulfureux milanais Francesco Giorgi, « peut fournir des réponses sur l'existence de cet argent » (sic !)

L’argument PEGA ne tient pas

Alors qu’elle était sous surveillance depuis plusieurs mois par les services secrets belges, dans plusieurs interviews qu'elle a accordées à divers médias européens, Eva Kaili affirme qu'elle était espionnée par la Belgique pour son rôle dans la commission Pegasus du Parlement européen. Son emprisonnement serait « politiquement motivé » et lié à son travail d'enquête sur l'utilisation illégale du logiciel espion israélien Pegasus en Europe dans le cadre de la commission spéciale du Parlement européen (PEGA). Ces affirmations, étalées entre autres dans les quotidiens espagnol El Mundo et français Libération, sont peu crédibles, selon le président de ladite commission d'enquête, Jeroen Lenaers (PPE) et la rapporteur Sophie In't Veld (RE). « Eva Kaili n'était pas impliquée dans les travaux de la commission Pegasus. Elle a fait quelques remarques lors d'une seule réunion le 23 novembre 2023, puis elle n'a plus participé ». (re sic !)

Un lobbying pro-Qatar forcené

Il y a un lobbying légal et il y a un lobbying qui l'est beaucoup moins. La justice belge a ainsi pu retracer une incroyable opération d'influence : le projet d'exemption de visas Schengen pour les Qataris, en faveur duquel Eva Kaili a mené un lobbying effréné. Les écoutes téléphoniques, les messages issus de son téléphone portable, les images de surveillance, des enregistrements vidéo des hôtels, semblent montrer qu'elle suivait les directives du duo Panzeri/Giorgi, en liaison étroite avec des officiels qataris de haut niveau, dont le ministre des Affaires étrangères, Mohammed Al Thani, et le ministre du travail, Ali Al Marri.

Nouvelle parade : à cela, Eva Kaili retoque sans complexe qu’il y a « harcèlement » de la part des services de renseignement et que si elle avait été allemande et non grecque – on connaît le penchant des pays du sud pour la corruption, il suffit de consulter Eurostat – elle aurait été moins « importunée ». Il faut oser !

La porte de sortie : l’absence de flagrant délit

Dernier passe d’armes : l’eurodéputée grecque exposée se montre plus rusée que jamais. Par l’entremise de ses conseils, elle affirme que tous les éléments de preuve à son encontre ont été recueillies par les autorités belges avant que le Parlement européen ne vote la levée de son immunité parlementaire, ce qui signifie que ces éléments ont été recueillies de manière illégitime et qu'ils ne peuvent donc pas être utilisées devant un tribunal. Est-ce la balle de match ?

Le 19 juin dernier, le juge Michel Claise, spécialisé dans la criminalité financière et qui menait jusqu’alors l’instruction, a décidé de se déporter du dossier « en raison d’un potentiel conflit d’intérêt » (comprenne là aussi qui veut !). C’est désormais la juge Aurélie Dejaiffe qui mène l’instruction. En septembre, la chambre des mises en accusation de Bruxelles a décidé de reporter le contrôle de la régularité de l’instruction dans ce dossier au 14 mai prochain. La question centrale est : y-a-t-il eu flagrant délit ou pas dans le chef d’Eva Kaili, ce qui ne lui permettrait pas de se prévaloir de l’immunité parlementaire.

Alessandra d'Angelo